De passage à Kisangani, le chef de l’État a de nouveau évoqué sa volonté de réviser la loi fondamentale du pays, suscitant une levée de boucliers. Une commission d’experts doit être mise en place en 2025.
Le jour de son investiture, le 24 janvier 2019, Félix Tshisekedi avait promis de « défendre la Constitution et les lois de la République ». Pourtant, cinq ans plus tard, c’est ce même texte adopté en 2006 que le président congolais appelle à modifier, l’accusant d’avoir été « rédigé à l’étranger et par des étrangers ». À Kisangani, dans le nord-est de la RDC, Félix Tshisekedi a réaffirmé lors de son discours vouloir mettre en place une commission interdisciplinaire d’experts chargés d’étudier la possibilité de la rédaction d’une nouvelle Constitution, dès 2025. « Il n’y a aucune urgence », précise Tina Salama, porte-parole de la présidence congolaise, à Jeune Afrique. Cette commission sera créée sur ordonnance.
Le président était dans le chef-lieu de la province de la Tshopo pour contrôler un certain nombre de chantiers, et notamment pour inaugurer l’aéroport international de Bangoka. Le 23 octobre, il s’est adressé en lingala à ses partisans et a consacré une partie de son meeting aux questions constitutionnelles. Le sujet, évoqué en coulisses depuis fin 2023 alors que Félix Tshisekedi n’avait pas encore été réélu pour un deuxième mandat, préoccupe son entourage depuis plus d’un an. Mais il n’a été abordé publiquement que lors de sa visite en Europe : le 1er mai, à Paris, il avait déclaré qu’un changement constitutionnel nécessiterait l’accord de « la population congolaise à travers ses représentants ».
La tentation du troisième mandat ?
À Kisangani, le président a cette fois précisé davantage ce projet. « Nous devons savoir que notre Constitution a des faiblesses et qu’elle n’est pas adaptée aux réalités du pays », a-t-il déclaré. Plusieurs mesures du texte handicapent à ses yeux le bon fonctionnement du pays : les délais de formation du gouvernement, la validation des mandats à l’Assemblée nationale, ou encore les conflits qui opposent gouverneurs et députés provinciaux. Dans une circulaire adressée aux cadres locaux de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, au pouvoir), Augustin Kabuya a appelé les responsables à « mobiliser et conscientiser la base du parti afin d’imprégner les militants du bien-fondé » de la révision de la Constitution. « Il y a urgence », précise le président par intérim de la formation, qui estime cette réforme « capitale ». Le document rappelle que le parti avait boycotté le référendum constitutionnel de 2006.
De son côté, l’opposition estime qu’il s’agit surtout d’une tentative de passer outre la limitation des mandats à deux quinquennats. « Nous ne sommes pas naïfs. Si certains veulent y toucher, c’est pour permettre au président actuel d’effectuer un troisième mandat, affirmait l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, à JA début octobre. Le reste n’est que de l’habillage ». L’ex-candidat à l’élection présidentielle de 2023 voit dans cette remise en cause de la loi fondamentale un moyen pour l’UDPS de ne pas prendre ses responsabilités. Même son de cloche du côté de Martin Fayulu, qui a poussé les cadres de l’ECiDé (Engagement pour la Citoyenneté et le Développement), sa formation politique, à militer contre tout changement de Constitution dès le mois de juin.
Sur ce point, Félix Tshisekedi a cherché à rassurer. « La modification du mandat qui relève de la compétence du peuple ne me concerne pas », a-t-il déclaré à Kisangani pour faire taire les rumeurs. Le chef de l’État a dit vouloir faciliter la gouvernance du pays, et « [s’adresser] aux ennemis de la nation, [afin] qu’ils ne profitent pas de cette situation pour diviser les Congolais ». Tshisekedi pourrait décider de faire voter une nouvelle Constitution par le biais d’un référendum. Mais une telle révision remettrait-elle le compteur des mandats à zéro ?
« Le président est plus préoccupé par le renforcement de l’efficacité des institutions que par son sort personnel, répond Tina Salama. C’est pourquoi il a dit [dans son discours] qu’on ne fait pas la Constitution pour une seule personne. Sa démarche vise l’intérêt du peuple. Il est crucial d’assouplir la procédure d’installation des institutions qui est très lourde. L’instabilité des institutions provinciales depuis la promulgation de la Constitution ne favorise pas le développement de notre pays. »
Question de timing
Révisé une fois en 2011, le texte actuel a été adopté dans les urnes en 2005 et promulgué en 2006 par Joseph Kabila, pour remplacer la Constitution de transition mise en place par son père à l’issue de la deuxième guerre du Congo. Si Félix Tshisekedi affirme qu’il ne répond pas aux besoins des populations, le projet soumis au référendum avait pourtant été rédigé par le Sénat avant d’être adopté par l’Assemblée nationale, puis par les Congolais avec 84,31 % de « oui ». « La Constitution a été approuvée par le peuple, et aujourd’hui, Félix Tshisekedi traite ce peuple comme des étrangers, affirme à Jeune Afrique Moïse Katumbi. Personne n’acceptera qu’on y touche. Qui vivra verra. »
Le texte avait fait l’objet d’une révision en 2011 sous l’impulsion de Joseph Kabila, alors chef de l’État. À l’approche de l’élection présidentielle de 2016, la rumeur avait enflé à Kinshasa, prêtant à Joseph Kabila les velléités d’un troisième quinquennat. Au terme de plus de deux ans de « glissement » – et d’une grave crise politique – « JKK » avait fini par désigner un dauphin sans procéder à une telle réforme, mais les craintes que ce projet revienne sur la table persistent avec son successeur.
Via l’Union sacrée de la nation, coalition formée autour de l’UDPS, Félix Tshisekedi dispose d’une confortable majorité à l’Assemblée nationale. Mais toute réforme constitutionnelle risque de cristalliser les débats, d’autant que ses détracteurs lui reprochent de s’en préoccuper alors que la guerre fait rage dans l’est de la RDC. Tandis que les députés viennent de voter la 84e prorogation de l’état de siège dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, les combats ont repris entre le M23 et les forces progouvernementales.
TribuneEchos avec Jeune Afrique