Explorant les recettes des soigneurs traditionnels, Sabine Adeline Fanta Yadang concentre ses recherches sur les maladies neurologiques, encore mal traitées dans son pays.
Depuis sa plus tendre enfance, Sabine Adeline Fanta Yadang rêvait de devenir médecin pour « soigner la population ». Mais, lorsqu’elle échoue au concours d’entrée en école de médecine après son baccalauréat scientifique, elle est contrainte de revoir ses plans. Elle choisit alors la biologie, et s’inscrit à l’université de Ngaoundéré, dans l’Adamaoua, l’une des trois régions du nord du Cameroun. Plus d’une décennie plus tard, la jeune femme peut se targuer de « soigner », à sa manière.
A 32 ans, elle reçoit dans son bureau de l’Institut de recherches médicales et d’études des plantes médicinales de Yaoundé, la capitale, où elle mène des recherches en neuropharmacologie, une branche de la science qui étudie les effets de médicaments sur le système nerveux. Une carrière pour laquelle elle s’est battue. « Au Cameroun, le climat dans l’enseignement supérieur est très lourd, confie-t-elle. Dès mon arrivée à l’université, cela a été difficile. On est rapidement harcelées. Il faut user de malice pour éconduire un professeur sans l’humilier. On se sent très seules, car les filles ne parlent pas beaucoup entre elles. » Dans le pays, 80 % des enseignants du supérieur sont des hommes, selon les chiffres des autorités.
Mais Sabine Adeline Fanta Yadang a trouvé sa voie. « Je suis fascinée par le cerveau », dit-elle, expliquant être « décidée » à trouver « les solutions pour booster la mémoire ». Elle se passionne pour cette spécialité, lorsqu’elle assiste à son tout premier cours sur le système nerveux central. Aussitôt, elle pense aux multiples pertes de mémoire de son grand-père. Alors que la moitié des plus de 55 ans sont touchés par des troubles neurologiques au Cameroun, selon une étude publiée dans la revue IBRO Neuroscience Reports en 2021, les habitants du village de Sabine Adeline Fanta Yadang, situé dans l’Extrême-Nord, avaient l’habitude d’attribuer les errements des « aînés » à la sorcellerie ; elle se dit que ces trous de mémoire sont plus sûrement liés à une maladie neurodégénérative telle qu’Alzheimer. Pour son projet de recherche, elle décide de « trouver et apporter des solutions » aux pertes de mémoire : « En Afrique, on se soigne la plupart du temps avec les plantes médicinales. Je me suis dit : “Pourquoi ne pas essayer de trouver une plante médicinale qui puisse corriger les pertes de mémoire ?” »
Expérimentations sur des rats
La neuropharmacologue en formation se tourne vers des tradipraticiens et réalise de multiples tests avec leurs concoctions. Cette mère célibataire rencontre une cinquantaine de ces soigneurs traditionnels, identifie une centaine de plantes et élimine celles ayant déjà fait l’objet d’études scientifiques. A la fin, il ne reste que Carissa edulis, un arbuste épineux originaire d’Afrique tropicale, en lice comme éventuel médicament. Certains tradipraticiens portent ses feuilles à ébullition et vendent le filtrat à leurs patients.
Dans le laboratoire de l’université de Ngaoundéré, elle fait des expérimentations sur des rats et des souris, auxquels elle injecte des extraits de la plante. Les tests de reconnaissance d’objets auxquels elle les soumet se montrent encourageants et « prouvent, selon la chercheuse, que la plante a des propriétés sur le cerveau ». Elle pousse ses recherches plus loin en injectant des substances chimiques aux rats afin « qu’ils perdent totalement la mémoire » et leur administre par la suite différentes concentrations des extraits de Carissa. « Dans 80 % des cas, il y avait des résultats positifs », se réjouit Sabine Adeline Fanta Yadang.
La pharmacologue espère que ses recherches paraîtront dans des publications scientifiques afin d’en « faire profiter le plus grand nombre ». Lauréate d’une bourse de la Fondation L’Oréal, la Camerounaise va pouvoir poursuivre ses recherches en postdoctorat à l’université d’Ibadan, au Nigeria, grâce à la dotation associée au prix. Son ambition est de faire des études approfondies sur cette plante pour déterminer si elle peut être associée à un traitement contre la maladie d’Alzheimer.
TribuneEchos avec Le Monde