Dans les grandes villes du Tchad, un constat alarmant s’impose : la gastronomie locale, autrefois emblème de notre culture, se fait de plus en plus rare dans les restaurants. À la place, des plats étrangers, comme le tchep sénégalais, l’atiéké ivoirien ou encore le shawarma libanais, dominent les menus. Cette disparition progressive des mets traditionnels, tels que la boule avec sauce gombo ou oseille, ou encore le kissar, témoigne d’une déconnexion croissante avec notre patrimoine culinaire.
La montée en popularité de la cuisine étrangère, perçue comme plus moderne et « tendance », relègue nos recettes locales à une consommation domestique, voire cérémoniale. Pourtant, la gastronomie tchadienne possède une richesse indéniable. Le boule, à base de mil ou de sorgho, accompagné de sauces locales, incarne parfaitement notre identité culturelle, adaptée à notre environnement et à nos traditions agricoles. Cette marginalisation dans l’espace public doit être prise au sérieux, car elle fragilise notre lien avec nos racines.
L’attrait pour la cuisine étrangère ne doit pas être interprété comme un simple phénomène de mode. Derrière cette préférence, se cache un problème plus profond : la modernité est désormais associée à ce qui vient de l’extérieur. Consommer un shawarma ou un tchep est devenu, pour beaucoup, un symbole de réussite sociale. Cette perception dévalorise nos propres plats, les rendant obsolètes aux yeux des nouvelles générations, qui les jugent parfois « moins sophistiqués » ou démodés.
Faut-il pour autant abandonner nos trésors culinaires au nom de l’exotisme ? Bien sûr que non. La cuisine tchadienne ne se résume pas à des recettes ; elle incarne notre histoire, nos traditions et notre savoir-faire. En la négligeant, nous risquons de perdre bien plus qu’un simple plat : nous risquons de perdre une partie de notre identité. Cette crise culinaire est en réalité une crise culturelle.
La solution à cette dévalorisation passe par l’innovation. Les chefs locaux et les entrepreneurs gastronomiques doivent réinventer la cuisine traditionnelle en la rendant plus attractive, sans pour autant la dénaturer. Ils doivent moderniser la présentation et la préparation tout en restant fidèles aux saveurs et aux produits du terroir. Les jeunes générations doivent aussi être sensibilisées à la valeur de leur patrimoine culinaire, notamment par des événements culturels et des ateliers culinaires.
Enfin, la préservation de la gastronomie tchadienne ne repose pas uniquement sur les restaurateurs. Chaque citoyen a un rôle à jouer. En valorisant les produits locaux et en soutenant les initiatives culinaires nationales, nous contribuons non seulement à protéger notre patrimoine culturel, mais aussi à stimuler l’économie locale. La cuisine n’est pas juste un moyen de se nourrir ; elle est le reflet de notre âme. Il est grand temps de la réhabiliter.