Une étude menée par trois sociologues de l’Institut national d’études démographiques et d’une université italienne montre comment les écarts de revenus au sein du couple peuvent avoir des conséquences sur l’avenir de celui-ci. Le risque de séparation est bien réel.
Les Anglosaxons les appellent les “breadwinner”, littéralement ceux qui ont un gagne-pain (bread : le pain, to win : gagner) sur lequel ils peuvent faire vivre leur famille. Les breadwinner, ce sont aussi ceux qui ont le salaire le plus élevé au sein d’un couple où les deux personnes travaillent. Pendant longtemps, il s’agissait, sauf exception, d’hommes. Mais, depuis l’arrivée massive sur le marché du travail des femmes et le niveau croissant de diplômes, il n’est plus rare de voir des femmes qui gagnent plus que leur conjoint.
Une étude publiée par une équipe de chercheures franco-italiennes, ce lundi 30 septembre, dans la revue European Journal of Population s’est intéressée à la stabilité des couples avec une “female breadwinner” en France. Selon Giulia Ferrari, professeure à l’Université de Trento en Italie, Anne Solaz et Agnese Vitali, sociologues à l’Ined (Institut national d’études démographiques), un quart des couples en âge de travailler se trouvaient dans la situation où la femme gagne plus que son conjoint en 2017. En 2002, cela ne concernait qu’un couple sur cinq.
Difficultés à s’éloigner des normes
En s’appuyant sur les données récoltées sur ces quinze années (2002-2017) via l’Échantillon Démographique Permanent (EDP), les chercheuses montrent que “lorsque la part des revenus de la femme dépasse 55 % du revenu total du couple, le risque de séparation augmente significativement. Ces couples présentent un risque de rupture supérieur de 11 à 40 % (selon l’ampleur de la contribution de la femme) par rapport aux couples dont les revenus sont équitablement répartis. Le risque de séparation croît à mesure que la part des revenus de la femme augmente.”
En fonction du type d’union qui lie les deux parties du couple, des différences existent. Ce sont les couples en union libre qui sont les plus menacés de se séparer et ceux pacsés qui ont le moins de risques de précipiter leur fin. Lorsque l’homme gagne plus que sa femme, les couples mariés sont plus stables que les autres.
Ce risque de séparation en fonction de la différence de revenus existe à tous les âges. Étonnamment, il est “également présent chez les jeunes couples, assurent les autrices de cet article, issus de générations ayant pourtant grandi avec des normes de genre plus égalitaires que celles des générations précédentes.”
Elles émettent plusieurs hypothèses pour expliquer ce phénomène : d’abord la possibilité pour ces couples qui ne suivent pas le “modèle dominant de l’homme ‘gagne-pain'” puissent rencontrer “davantage des difficultés conjugales”. Le fait aussi que ces femmes “gagne-pain” peuvent plus facilement ou librement envisager une séparation “en cas d’insatisfaction conjugale” car leur emploi leur permet une indépendance financière.
Des études se sont déjà intéressées à ce phénomène avec des conclusions en partie comparables notamment en Finlande et au Canada. C’est une première en France et “clairement une preuve que le fait de se détourner des normes est difficile à accepter même dans les pays comme la France où l’emploi des femmes est élevé et soutenu par les politiques publiques”, concluent les autrices.
TribuneEchos avec la Provence